INTRODUCTION A L’HISTOIRE DES PATRIARCHES – 2
HISTOIRE DES PATRIARCHES -1
On
voudrait, dans cet ouvrage, répondre à l’appel de l’éminent écrivain qui, par
la lecture assidue des Pères de l’Eglise, a su découvrir la sève cachée sous la
lettre des Livres Saints et qui, mettant un génie hors de pair au service d’une
foi inébranlable, a donné à la Bible une place qu’elle n’avait jamais eu encore
dans la littérature française. La préface que l’on vient de lire (1)
exprime avec une force et une conviction dont il est impossible n’être pas
touché, le vœu de tous ceux – et ils sont légion – qui aspirent à voir
l’interprétation traditionnelle de l’Ecriture en honneur, non pas sans doute, à
la place, mais à côté de l’exégèse littérale et scientifique qui prétend
aujourd’hui régner seule.
Nous nous sommes
efforcés de retrouver dans leurs attitudes exactes, dans leurs proportions
harmonieuses, dans leur beauté originelle ces figures patriarcales, ces statues
merveilleuses que le Saint-Esprit lui-même a sculptées avec amour aux premiers
temps du monde, à la fois pour orner le temple éternel de Dieu, celui où on
l’adore en esprit et en vérité, et pour servir de modèles, indéfiniment, à
travers les siècles, aux hommes qui voudraient vivre en hommes.
Tel était à leur
endroit le sentiment des Pères de l’Eglise.
A un jeune homme
qui lui demandait quelques conseils pour tendre à la perfection, saint Grégoire
de Nysse répondait en citant d’abord ce texte d’Isaïe : « Regardez Abraham et Sara, qui vous ont enfantés. »
Puis il ajoutait :
C’est à des âmes
égarées que ces paroles sont adressées. De même en effet que, pour les marins
emportés loin de la direction du port, la vue d’un feu qui s’élève d’une
hauteur, ou de la cime d’une montagne aperçue de loin, sert de point de repère
pour retrouver la bonne route ; de même les âmes égarées, l’esprit sans
pilote dans l’océan de la vie, sont-elles ramenées au port de la divine volonté
par l’exemple d’Abraham et de Sara. Et comme l’humanité est divisée en deux
sexes, et qu’à tous deux est proposé le libre choix entre le vice et la vertu,
la Parole divine à mis sous les yeux de l’un comme de l’autre un modèle à
imiter, afin que les hommes regardant Abraham, les femmes regardant Sara, les
deux sexes puissent, par des exemples appropriés, dirigés leur vie selon la
vertu.
Il nous suffira
donc de rappeler la vie d’un de ces personnages pour lui faire remplir l’office
de phare, et montrer ainsi comment il est possible de faire aborder l’âme au
port paisible de la vertu, où elle ne sera plus exposée aux orages de la vie,
et où elle ne risquera plus de faire naufrage dans les abimes du péché, sous le
choc des vagues successives des passions. La raison pour laquelle la vie de ces
âmes saintes a été écrite en détail, n’est-elle pas de diriger dans la voie du
bien, par l’exemple des justes des temps anciens, la vie de leurs
successeurs ? Mais, dira-t-on, si je ne suis ni chaldéen, comme cela est
écrit d’Abraham, ni l’enfant adoptif de la fille du roi d’Egypte, comme
l’Ecriture l’enseigne de Moïse ; si je n’ai rien de commun dans ma façon
de vivre avec aucun de ces hommes d’autrefois, comment conformerai-je ma vie à
celle de l’un d’entre eux ? Je ne vois pas comment imiter quelqu’un qui
diffère totalement de moi par ses habitudes. Nous répondrons à cela qu’il
importe peu, pour le vice ou la vertu, que l’on soit Chaldéen, et que ni le
fait de vivre en Egypte, ni celui d’habiter Babylone n’excluent quelqu’un du
chemin de la perfection. Ce n’est pas en Judée seulement que Dieu est connu des
justes, ce n’est pas à Sion seulement, encore que l’Ecriture sainte semble le
dire, que se trouve la maison de Dieu. Mais il nous faudra une #méditation
attentive et une vue plus perçante, pour discerner, au-delà de la lettre de
l’Ecriture, de quels Chaldéens et de quels Egyptiens il faut nous éloigner, et
quelle est la captivité de Babylone à laquelle nous devons échapper pour
atteindre la vie bienheureuse. (2) »
De même, saint
Ambroise, commence les deux livres qu’il a écrit sur Abraham, par les
réflexions suivantes :
« Platon, prince des philosophes, a jugé utile de
construire, dans ses ouvrages, une république idéale, afin que ses concitoyens
eussent en elle un modèle à imiter. Et Xénophon a dessiné dans sa Cyropédie, le
type du roi juste et sage, pour servir d’enseignement aux princes. Ainsi,
Moïse, en écrivant la vie d’Abraham, nous a montré le modèle de l’homme de
Dieu, avec cet avantage sur les auteurs précédents, qu’au lieu de forger de
toutes pièces un être fictif, il met devant nos yeux un personnage réel, doté
des vertus les plus authentique (3).
Il résulte
clairement de ces témoignages, et de beaucoup d’autres que, pour les Pères de
l’Eglise, Abraham n’est pas un être primitif, émergeant à peine de l’état
sauvage ou de l’animalité, comme on pourrait le croire en entendant certains
auteurs contemporains parler à son sujet, de « bédouin sournois et
pillard », de « vagabond civilisé », « d’enfant de la
steppe », de « conscience crépusculaire »…que sais-je
encore ?
Abraham, personne
n’osera le contester, est une des plus grandes figures de l’histoire
universelle. A l’heure où l’humanité tout entière se ruait frénétiquement dans
le polythéisme et se prosternait sans honte devant les idoles les plus variées,
les plus grotesques, les plus immondes, il apparaît comme le mainteneur du
monothéisme, comme l’ancêtre et le chef de tous ceux qui adorent le Dieu Un, le
Dieu transcendant, le Dieu qui est Esprit. A ce titre, sa haute stature domine
et l’histoire du peuple juif, qui se tient pour son descendant direct et son
héritier, et celle du christianisme, et encore celle de l’Islam. Les fils du Prophète,
en effet, le considèrent comme leur chef, non pas seulement parce qu’il est le
père d’Ismaël, leur ancêtre racial, mais surtout parce qu’ils voient en lui le modèle
de l’intransigeance monothéiste, dont ils font le principe premier de leur
religion. Aussi occupe-t-il dans le Coran une place beaucoup plus importante
que le fils d’Agar, qui n’y a qu’un rôle effacé. #Allah est son Dieu avant
d’être celui de #Mahomet. Si les #Musulmans veillent jalousement sur sa tombe à
Hébron, c’est qu’ils la considèrent comme un dépôt qui leur revient de droit. #Jésus
est le chef des chrétiens, Moïse celui des #Juifs, mais Ibrahim (ou Abraham)
est leur Patriarche à eux, celui qui, béni d’Allah, a légué à ses descendants
la foi véritable, c’est-à-dire l’Islam.
L’Eglise catholique,
de son côté, ne lui témoigne pas moins d’égard et de vénération que la religion
juive. Trois fois au moins chaque jour, elle le nomme dans sa liturgie, à des
moments particulièrement solennels : au Benedictus de l’Office des Laudes,
au Magnificat des Vêpres, et surtout au Canon de la Messe, honneur insigne
qu’elle n’accorde qu’à de rares privilégiés. Elle montre, par là, qu’elle le
tient pour l’un des noms les plus capables de lui concilier, à ce moment
redoutable, la bienveillance du Tout-Puissant. Elle nous fait dire à nous,
chrétiens, en parlant de lui : « Abraham
le très grand » (Pater fidei nostrae, Abraham summus (3) ». Toute
la tradition catholique est empreinte à son endroit du même caractère de
respect, de haute estime, d’admiration : sa vie est considérée unanimement
comme le modèle de celle du juste, comme le miroir de toutes les vertus. Les
Pères ont loué à l’envi et sans dissonance aucune, sa foi, son obéissance, sa
patience, sa charité, son humilité, sa piété. Et si saint Jérôme a écrit une
fois : Peccavit Abraham, Abraham a péché, c’est justement pour montrer que
nul homme n’est exempt de quelques faiblesses, même s’il compte parmi les plus
grands saints (4).
Ainsi, trois des
principaux courants de la civilisation humaine se réclament en lui d’une
origine commune : ils semblent sortir de cette source unique pour irriguer
et fertiliser toute la terre.
(A suivre…si Dieu veut)
Dom de Monléon
(1) Saint Grégoire de Nysse, De la vie de Moïse,
Patrologie grecque, t.XLIV, col.301.
(2) De Abraham libri duo, I.I, ch. I
(3) Antienne des premières Vêpres de la Quinquagésime.
(4) Commentaires sur Isaïe, I. XII, ch. XLIII, 36
René
Pellegrini