« Mirabilis
Deus Sanctis in Suis. »
« Dieu est
admirable dans ses Saints. »
(Psaume LXVII, 36)
LES LIBERTINS ET LA SAINTETE :
PREMIERE INJUSTICE – 2
Car je l’ai dit, Chrétiens, et je le répète, quelque présomptueux que puisse
être le libertinage du monde, jamais il ne se soutiendra contre certains
exemples irréprochables que Dieu dans tous les temps lui a opposés, et qu’il
lui opposera toujours pour le confondre. Cette nuée de témoins dont parle saint
Paul, cette innombrable multitude de saints dont nous honorons la glorieuse
mémoire, est en faveur de la sainteté chrétienne un argument trop plausible, et
une preuve trop éclatante et trop forte, pour pouvoir être affaiblie par toute
impiété du siècle. Il y a dans le monde des hypocrites, je le sais, et
peut-être trop pour n’en pas gémir moi-même ; mais l’impiété du siècle
peut-elle se prévaloir de l’hypocrisie pour en tirer cette dangereuse
conséquence, qu’il n’y a pas dans le monde de vraie sainteté ? Au
contraire, répond ingénieusement saint Augustin, c’est de là même qu’elle doit
conclure qu’il y a une vraie sainteté, parce qu’il se trouve des saintetés
fausses ; et la raison qu’il en apporte est sans réplique : parce que
la fausse sainteté, ajoute-t-il, n’est rien autre chose qu’une imitation de la
vraie, comme la fiction est une imitation de la vérité.
En effet, ce sont les vrais vertus qui, par l‘abus qu’on en fait en voulant les
imiter, ont produit, contre l’intention de Dieu, les fausses vertus. Le démon,
père du mensonge, s’étant étudié à copier, autant qu’il a pu, les œuvres de
Dieu, il a pris à tâche de contrefaire la vraie humilité par mille vains
fantômes d’humilité, la vraie sévérité de l’Evangile par l’apparente sévérité
de l’hérésie, le vrai zèle par le zèle jaloux, la vraie religion par
l’idolâtrie et la superstition. Témoignage évident, dit saint Augustin, qu’il y
a donc une vraie religion, un vrai zèle, une vraie sévérité de mœurs, une vraie
humilité de cœur, en un mot, une vraie sainteté, puisqu’il est impossible de
contrefaire ce qui n’est pas, et que les copies, quoique fausses, supposent un
modèle.
Or ce principe établi, qu’il y a une vraie sainteté, l’impiété du siècle la
plus maligne demeure désarmée et sans défense. Que cette sainteté pure et sans
reproche soit rare parmi les hommes, qu’elle se rencontre en peu de sujets,
cela ne favorise en aucune sorte le libertin. Quand il n’y en aurait dans le
monde qu’un seul exemple, il n’en faudrait pas davantage pour faire sa
condamnation ; et Dieu, par une providence toute spéciale, dispose
tellement les choses, que cet exemple, seul si vous le voulez, ne manque
jamais, et que malgré l’iniquité, il y en a toujours quelqu’un que le mondain
lui-même, de son propre aveu, ne peut s’empêcher de reconnaître.
Oui, mon cher auditeur, si vous êtes assez malheureux pour être du nombre de
ceux à qui je parle ici et que je combats, ce seul homme de bien que vous
connaissez, et qui est, dîtes-vous, l’unique en qui vous croyez et dont vous
voudriez répondre, c’est celui-là même qui s’élèvera contre vous au jugement de
Dieu ; lui seul il vous fermera la bouche. Dieu n’aura qu’à vous le
produire, pour vous convaincre malgré vous du prodigieux égarement où vous
aurez vécu, et pour faire paraître à tout l’univers la vanité, la faiblesse, le
désordre de votre libertinage. En vain, pour votre justification, voudrez-vous
alléguer l’hypocrisie de tant de mauvais chrétiens. S’il y a eu dans le monde
des hypocrites, vous dira Dieu, vous n’avez pas dû pour cela être un impie. Si
plusieurs ont abusé de la sainteté de mon culte, il ne fallait pas vous porter
à un excès tout opposé, ni vous livrer au gré de vos passions ; car il
n’était pas nécessaire que vous fussiez l’un ou l’autre : entre
l’hypocrite et le libertin, il y avait un parti à suivre, et même un parti
honorable ; c’était d’être chrétien, et vrai chrétien. Que ceux que vous
avez traités de faux dévots l’aient été ou non, c’est sur quoi ils seront
jugés ; mais votre cause, qui n’a rien de commun avec eux, n’en a pu devenir
meilleure. Tant de faux dévots, de dévots suspects qu’il vous plaira, en voici
un, après tout, que vous ne pouvez récuser ; en voici un qui vous confond,
et qui vous confond, et qui vous confond par vous-même ; car ce Juste que
vous avez vous-même respecté, ce Juste en qui vous avez reconnu vous-même tous
les caractères d’une piété sincère et solide, que ne l’avez-vous imité, et
pourquoi ne vous êtes-vous pas formé sur ses exemples ?
Cela, dis-je, suffirait pour faire taire l’impiété. Ce serait assez de ces
saints, quoique rares et singuliers, que Dieu nous fait voir sur la
terre ; de ces saints qui, non seulement glorifient Dieu, mais ont encore
le bonheur, en le glorifiant, d’être généralement approuvés des hommes ;
de ces saints dont la vertu est si unie, si simple, si pure, si hautement et si
universellement canonisée, que le libertinage même est forcé de les
honorer : car il y en a, et, quelque réprouvé que soit le monde, il y en a
au milieu de vous ; vous savez bien les démêler, et vous ne vous trompez pas
dans le discernement que vous en faîtes.
Mais je dis bien plus ; et pour un Juste dont l’exemple pourrait suffire,
Dieu m’en découvre aujourd’hui une multitude innombrable, et me fournit autant
de preuves contre vous. Il m’ouvre le ciel, et, m’élevant au-dessus de la
terre, il me montre ces troupes d’élus qu’une sainteté éprouvée, purifiée,
consommée, a fait monter aux plus hauts rangs de la gloire. Des hommes, dit
saint Chrysostome (induction admirable et dont vous devez être touchés !),
des hommes en qui la sainteté n’a été ni tempérament, puisqu’elle a réformé,
changé, détruit dans eux le tempérament ; ni humeur, puisqu’elle ne les a
sanctifiés qu’en combattant, qu’en réprimant, qu’en mortifiant sans cesse
l’humeur ; ni politique, puisqu’elle les a dégagés de toutes les vues
humaines ; ni intérêts, puisqu’elle les a fait renoncer à tous
intérêts ; ni vanité, puisqu’elle les a en quelque sorte anéantis, et
qu’ils ne se sont presque tous sanctifiés qu’en se cachant dans les ténèbres ;
ni chagrin, puisqu’elle les a souvent détachés, séparés du monde lorsqu’ils
étaient plus en état de jouir des prospérités et de goûter les agréments du
monde ; ni faiblesse, puisqu’elle leur a fait prendre les plus généreuses
résolutions et soutenir les plus héroïques entreprises ; ni petitesse de
génie, puisqu’en souffrant , en mourant, en s’immolant pour Dieu, ils ont fait
voir une grandeur d’âme que l’infidélité même à admirée ; ni hypocrisie,
puisque, bien loin de vouloir paraître ce qu’ils n’étaient pas, tout leur soin
a été de ne pas paraître ce qu’ils étaient. Des hommes que le christianisme a
formés, et dont la sainteté incontestablement reconnue est d’un ordre si
supérieur à tout ce que la philosophie païenne, je ne dis pas pratiqué, mais a
enseigné, mais a imaginé, mais a voulu feindre, que, dans l’opinion de saint
Augustin, l’exemple de ces héros chrétiens dont nous solennisons la fête est
une des preuves les plus invincibles qu’il y a un Dieu, qu’il y a une religion,
qu’il y a une grâce surnaturelle qui agit en nous. Pourquoi ? Parce qu’une
sainteté aussi éminente que celle-là ne peut être sortie du fond d’une nature
aussi corrompue que la nôtre ; parce que la philosophie et la raison ne
vont point jusque là ; parce qu’il n’y a donc que la grâce de Jésus-Christ
qui puisse ainsi élever les hommes au-dessus de toute l’humanité, et que c’est
par conséquent l’œuvre de Dieu. Voilà ce que célèbre aujourd’hui l’Eglise
militante, dans cette auguste solennité qu’elle consacre à l’Eglise
triomphante. Voilà de quoi le ciel est rempli. Exemples mémorables dont
l’impiété n’effacera jamais le souvenir, et contre lesquels elle ne prescrira
jamais. Exemples convaincants auxquels il faut que le libertinage cède, et qui
confondront éternellement l’orgueil du monde. Miracles de votre grâce, ô mon
Dieu, dont je me sers ici pour répandre, au moins dans la cour du plus chrétien
de tous les rois, les sentiments de respect et de vénération dus à la vraie
piété. Heureux si j’en pouvais bannir cet esprit mondain toujours déclaré
contre ceux qui vous servent, ou plutôt, Seigneur, toujours déclaré contre
votre service même ! Heureux si je pouvais le détruire dans tous les
cœurs, si je pouvais détromper toutes les personnes qui m’écoutent, et leur
faire une fois comprendre combien ces injustes préjugés dont on se laisse si
aisément prévenir, et où l’on aime tant à s’entretenir, sont capables de les
éloigner, et les éloignent en effet de vous !
Père Louis Bourdaloue (1632-1704)
(A suivre…« Les libertins et la sainteté : Seconde injustice »…si Dieu veut)
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