L’ESPRIT DU BIEN ET L’ESPRIT DU
MAL – 2
TRAITE DU SAINT-ESPRIT – 11
CHAPITRE 1
En attendant, l’existence de deux Esprits opposés suppose l’existence d’un
monde supérieur au nôtre. Par là, nous entendons un monde composé d’êtres plus
parfaits et plus puissants que nous, dégagés de la matière et purement
spirituels : Dieu, les anges bons et mauvais, en nombre incalculable ;
monde des causes et des lois, sans lequel le nôtre n’existerait pas ou
marcherait au hasard, comme le navire sans boussole et sans pilote ; monde
pour lequel l’homme est fait et vers lequel il aspire ; monde qui nous en
enveloppe de toutes parts, et avec lequel nous sommes incessamment en
rapports ; à qui nous parlons, qui nous voit, qui nous entend, qui agit
sur nous et sur les créatures matérielles, réellement, efficacement, comme
l’âme agit sur le corps.
Loin d’être une chimère, l’existence de ce monde supérieur est la première des
réalités. La religion, l’histoire, la raison, se réunissent pour en faire
l’article fondamental de la foi du genre humain. Aujourd’hui plus que jamais,
il est nécessaire de le démontrer : car la négation du surnaturel est la
grande hérésie de notre temps. Naguère M. Guizot (1) lui-même en faisait la remarque. Il
écrivait :
« Toutes les attaques dont le
christianisme est aujourd’hui l’objet, quelque diverses qu’elles soient dans
leur nature ou dans leur mesure, partent d’un même point et tendent à un même
but, la négation du surnaturel dans les destinées de l’homme et du monde,
l’abolition de l’élément surnaturel dans la religion chrétienne, dans son
histoire comme dans ses dogmes. Matérialistes, panthéistes, rationalistes,
sceptiques, critiques, érudits, les uns hautement, les autres très
discrètement, tous pensent et parlent sous l’empire de cette idée, que le monde
et l’homme, la nature morale comme la nature physique, sont uniquement
gouvernés par des lois générales, permanentes et nécessaires, dont aucune
volonté spéciale n’est jamais venue et ne vient jamais suspendre ou modifier le
cours. » (2)
Rien n’est plus exact. Nous ajouterons seulement qu’indiquer le mal n’est pas
le guérir. Afin de mettre sur la voie du remède, il aurait fallu dire comment,
après dix-huit siècles de surnaturalisme chrétien, l’Europe actuelle se trouve
peuplée de naturalistes de toute nuance, dont la race, florissante dans
l’antiquité païenne, avait disparu depuis la prédication de l’Evangile (3). Quoi qu’il en
soit, les négations individuelles s’évanouissent devant les affirmations
générales. Or, le genre humain a toujours affirmé l’existence d’un monde
surnaturel.
L’existence d’une religion chez tous les peuples est un fait. Ce fait est
inséparable de la croyance à un monde surnaturel.
« C’est, continue M. Guizot, sur une foi naturelle au
surnaturel, sur un instinct inné du surnaturel que toute religion se fonde.
Dans tous les lieux, dans tous les climats, à toutes les époques de l’histoire,
à tous les degrés de la civilisation, l’homme porte en lui ce sentiment,
j’aimerais mieux dire ce pressentiment, que le monde qu’il voit, l’ordre au
sein duquel il vit, les faits qui se succèdent régulièrement et constamment
autour de lui, ne sont pas tout. En vain il fait chaque jour dans ce vaste
ensemble des découvertes et des conquêtes ; en vain il observe et constate
savamment les lois permanentes qui y président : sa pensée ne se renferme
point dans cet univers livré à la science. Ce spectacle ne suffit point à son
âme ; elle s’élance ailleurs ; elle cherche, elle entrevoit autre
chose ; elles aspire pour l’univers et pour elle-même à d’autres
destinées, à un autre maître : Par delà tous les cieux, le Dieu des cieux
réside, a dit Voltaire ; et le Dieu qui est par delà les cieux, ce n’est
pas la nature personnifiée, c’est le surnaturel en personne. C’est à lui que
les religions s’adressent ; c’est pour mettre l’homme en rapport avec lui
qu’elles se fondent. Sans la foi instinctive de l’homme au surnaturel, sans son
élan spontané et invincible vers le surnaturel, la religion ne serait pas. »
(4)
Le genre humain ne croit pas seulement à l’existence isolée d’un monde
surnaturel, il croit encore à l’action libre et permanente, immédiate et réelle
de ses habitants sur le monde inférieur. De cette foi constante nous trouvons
la preuve dans un fait non moins éclatant que la religion elle-même, c’est la
prière :
« Seul entre tous les êtres ici-bas,
l’homme prie. Parmi les instincts moraux, il n’y en a point de plus naturel, de
plus universel, de plus invincible que la prière. L’enfant s’y porte avec une
docilité empressée. Le vieillard s’y replie comme dans un refuge contre la
décadence et l’isolement. La prière monte d’elle-même sur les jeunes lèvres qui
balbutient à peine le nom de Dieu, et sur les lèvres mourantes qui n’ont plus
la force de le prononcer. Chez tous les peuples, célèbres ou obscurs, civilisés
ou barbares, on rencontre à chaque pas des actes et des formules d’invocation.
Partout où vivent des hommes, dans certaines circonstances, à certaines heures,
sous l’empire de certaines impressions de l’âme, les yeux s’élèvent, les mains
se joignent, les genoux fléchissent, pour implorer ou pour rendre grâces, pour
adorer ou pour apaiser. Avec transport ou avec tremblement, publiquement ou
dans le secret de son cœur, c’est à la prière que l’homme s’adresse en dernier
recours, pour combler les vides de son âme ou porter les fardeaux de sa
destinée. C’est dans la prière qu’il cherche, quand tout lui manque, de l’appui
pour sa faiblesse, de la consolation dans ses douleurs, de l’espérance pour la
vertu. » (5)
(A suivre…« L’Esprit
du bien et l’Esprit du mal – 3 »…si Dieu veut)
- Les gras dans le texte et
la note 1 sont de moi. Les autres de Mgr Gaume.
(1) François Pierre
Guillaume Guizot (1787-1874), fut un historien et homme politique français,
membre de l’académie française. D’origine protestante (Huguenot)
(2) Dans son ouvrage
« L’Eglise et la société chrétienne » rédigé en 1861, chapitre IV,
p.19 et 20 – Dans sa prétendue Vie de Jésus, Renan vient de donner tristement
raison à M. Guizot. Renan n’est qu’un écho.
(3) Dans l’ouvrage de
Mgr Gaume, le Rationalisme.
(4)
L’Eglise et la société chrétienne, en 1861 chapitre IV, page 21.
(5) L’Eglise et la
société chrétienne, en 1861, chapitre IV, page 22.
René
Pellegrini
Mis sur un autre blogue le 13 janvier 2013