Le Père Louis Bourdaloue (1632-1704) enseigna les lettres humaines et professa la philosophie et la théologie avant de devenir un célèbre prédicateur de l’Ordre des Jésuites. Surnommé « le prédicateur des rois » son ministère de prédication dura trente- quatre ans. Il fut connu comme un homme de probité, de droiture, de franchise et ferme, quand il fallait l’être, sans égard ni à la qualité, ni au rang social.LA SAINTETE - 1 (1)
INTRODUCTION A
LA SAINTETE (2)
« Mirabilis
Deus Sanctis in Suis. »
« Dieu est admirable dans ses Saints. » (3)
(Psaume LXVII, 36)
Cette publication relate un
sermon prononcé, par le Père Bourdaloue, devant le roi Louis XIV, pour la Fête
de tous les Saints.
Sire,
A considérer Dieu dans lui-même, nous ne pouvons
dans lui-même l’admirer, parce qu’il est trop élevé au-dessus de nous et trop
grand. Comme nous ne le connaissons sur la terre que dans ses ouvrages, ce
n’est aussi sur la terre, à proprement parler, que dans ses ouvrages qu’il est
admirable pour nous. Or l’ouvrage de Dieu par excellence, ce sont les Saints ;
et par conséquent, disait le prophète royal, c’est surtout dans ses Saints
qu’il nous paraît digne de nos admirations « Mirabilis
Deus in sanctis suis. »
En effet, de quelque manière que nous envisagions
les Saints, Dieu est admirable en eux : et quand je m’en tiendrais au seul
Evangile de ce jour, qu’y a-t-il de plus admirable que d’avoir conduit des
hommes à la possession d’un royaume par la pauvreté ? Que de leur avoir
fait trouver la consolation et la joie par les pleurs et l’adversité ? Que
de les avoir élevés par les humiliations au comble de la gloire, et, pour me
servir de l’expression de saint Ambroise, de les avoir béatifiés par les
misères mêmes ? Car voilà, si je puis user de ce terme, les divins
paradoxes dont le Saint-Esprit nous donne l’intelligence dans cette solennité,
et que nous n’aurions jamais pu comprendre, si les Saints que nous honorons
n’en étaient une preuve semblable : voilà les miracles que Dieu a opérés dans
ses élus : « Mirabilis Deus in Sanctis suis. »
J’ajoute néanmoins, mes chers auditeurs, après
saint Léon, pape, une chose qui me semble encore plus propre à nous toucher,
par l’intérêt que nous y devons prendre comme chrétiens. Car Dieu, dit ce Père,
est particulièrement admirable dans ses Saints, parce qu’en les glorifiant il
nous a pourvus d’un puissant secours, c’est celui de leur protection ; et
qu’en même temps il nous a mis devant les yeux un grand modèle, c’est l’exemple
de leur vie : « Mirabilis Deus in Sanctis suis, in qui bus et praesidium nobis constituit, et exemplum.». Je m’attache à
cet exemple des Saints pour établir solidement les importantes vérités que j’ai
à vous annoncer ; et, sans rien dire du secours que nous pouvons attendre
d’eux, et que nous en recevons, je veux vous faire admirer Dieu dans la
conduite qu’il a tenue en nous proposant ces illustres prédestinés, dont la
sainteté doit produire en nous de si merveilleux effets pour notre
sanctification. Vierge sainte, reine de tous les Saints, puisque vous êtes la
mère du Saint des Saints ; vous en qui Dieu s’est montré souverainement
admirable, puisque c’est en vous et par vous qu’il s’est fait homme et qu’il
s’est rendu semblable à nous, faites descendre sur moi ses grâces. Il s’agit
d’inspirer à mes auditeurs un zèle sincère, un zèle efficace d’acquérir cette
sainteté si peu goûtée, si peu connue, si peu pratiquée dans le monde, et
toutefois si nécessaire pour le salut du monde. Je ne puis mieux réussir dans
cette entreprise que par votre intercession, et c’est ce que je vous demande,
en vous adressant la prière ordinaire Ave Maria.
En trois mots j’ai compris, ce me semble, trois
sujets de la plus juste douleur, soit que nous soyons sensibles aux intérêts de
Dieu, soit que nous ayons égard aux nôtres, quand j’ai dit que la sainteté, si
nécessaire pour notre salut, était peu goûtée, peu connue, et peu pratiquée
dans le monde. Mais je prétends aussi vous consoler, Chrétiens, quand j’ajoute
que Dieu, par son adorable sagesse, a su remédier efficacement à ces trois
grands maux, en nous mettant devant les yeux la sainteté de ses élus, et en les
prédestinant pour nous servir d’exemples. Je m’explique.
Cette sainteté que
Dieu nous demande, et sans laquelle il n’y a point de salut pour nous, par une
déplorable fatalité, trouve dans les esprits des hommes trois grands
obstacles à vaincre, et qu’elle à peine souvent à surmonter,
savoir, le libertinage, l’ignorance et la
lâcheté. Parlons plus clairement et plus simplement. Trois sortes
de chrétiens dans le monde, par l’aveuglement où nous jette le péché et par
la corruption du monde même, sont mal disposés à l’égard de la sainteté :
car les libertins la censurent et tâchent de la
décrier ; les ignorants la prennent mal, et, dans l’usage
qu’ils en font, ou, pour mieux dire, qu’ils en croient faire, ils n’en ont que
de fausses idées ; enfin, les lâches la regardent comme
impossible, et désespèrent d’y parvenir. Les premiers, malins et critiques, la
rendent odieuse, et de là vient qu’elle est peu goûtée ; les seconds, grossiers
et charnels, s’en forment des idées, non selon la vérité, mais selon leur goût
et selon leur sens, et de là vient qu’elle est peu connue. Les derniers,
faibles et pusillanimes, s’en rebutent et y renoncent, dans la vue des
difficultés qu’ils y rencontrent, et de là vient qu’elle est rare et peu
pratiquée : trois dangereux écueils à éviter dans la voie du salut, mais
écueils dont nous nous préservons aisément, si nous voulons profiter de
l’exemple des Saints.
Car je soutiens, et voici le partage de ce
discours, je soutiens que l’exemple des Saints est la plus invincible de toutes
les preuves pour confondre la malignité du libertin, et pour justifier contre
lui la vraie sainteté ; je soutien que l’exemple des Saints est la plus
claire de toutes les démonstrations pour confondre les erreurs du chrétien
séduit et trompé, et pour lui faire voir en quoi consiste la vraie
sainteté ; je soutiens que l’exemple des Saints est le plus efficace de
tous les motifs pour confondre la tiédeur, beaucoup plus le découragement du
chrétien lâche, et pour le porter à la pratique de la vraie sainteté. De là
n’aurai-je pas droit de conclure que Dieu est admirable dans ses Saints,
lorsqu’il nous les donne pour modèle ? Mirabilis
Deus in Sanctis suis. Je parle, encore une fois, à trois
sortes de personnes dont il est aujourd’hui question de rectifier les
sentiments sur le sujet de la sainteté chrétienne : aux libertins qui la
combattent, aux ignorants qui ne la connaissent pas, aux lâches qui n’ont pas
le courage de la pratiquer ; et, sans autre raisonnement, je montre aux
premiers que, supposé l’exemple des Saints, leur libertinage est
insoutenable ; aux seconds, que leur ignorance est sans excuse ; aux
derniers, que leur lâcheté n’a plus de prétexte : trois vérités que vais
développer : appliquez-vous.
(A suivre…« Les libertins et la sainteté »…si
Dieu veut)
René Pellegrini
- C’est moi qui mets en gras dans le texte.
(1) Sermon prononcé devant le roi
Louis XIV pour la Fête de tous les Saints.
(2) C’est moi qui mets les sous-titres et souligne dans les
textes.
(3) Texte de la Vulgate de Saint Jérôme, Bible officielle et
canonique de l’Eglise catholique. Dans les Bibles protestantes, la traduction, depuis
le texte massorétique hébreu qui ne remonte pas au-delà du VIe siècle après
Jésus-Christ, est différente « De ton sanctuaire, ô Dieu ! Tu es
redoutable. » (LXIII, 36). Saint Jérôme disposait de documents de première
valeur, disparus depuis : Le rouleau de la Synagogue de Bethléem et
les Hexaples d’Origène (IIIe siècle) avec le texte hébreu et cinq principales
traductions grecques.