Abraham Isaac Jacob
INTRODUCTION A L’HISTOIRE DES PATRIARCHES – 4
HISTOIRE DES PATRIARCHES - 3
Avec lui et avec
ses successeurs : Isaac, Jacob et Joseph, nous nous trouvons devant des
hommes qui appartiennent à la plus haute Classe spirituelle de l’humanité. Les
présenter comme de simples spécimens du milieu où ils ont vécu, comme des
hommes semblables à tous les autres, à des Bédouins peu scrupuleux, est une
grave erreur. Nous devons tenir pour assuré au contraire qu’ils ont brillé dans
leurs temps comme la lumière dans les ténèbres, et qu’ils ont tranché sur leur
entourage comme le blanc sur le noir. Et ce n’est pas une moindre erreur de
penser que la perfection à laquelle ils ont été appelés, était une perfection
toute relative, une perfection embryonnaire, proportionnée à leur
« conscience crépusculaire », à l’état d’hommes encore à demi animaux
qu’on voudrait leur attribuer. Le concept de perfection ne supporte pas plus
d’amoindrissement que celui de vérité ou de justice. Il a les mêmes exigences
sous la loi de nature et sous la loi de Moïse, que sous le Nouveau Testament.
« Abraham, dit saint Epiphane, fut appelé par
Dieu à la perfection évangélique, comme devait l’être plus tard Pierre et
André, Jacques et Jean (11). »
Toute la suite de
cette histoire en fera la preuve pour lui et pour ses successeurs immédiats.
Telle est l’opinion unanime de la Tradition. Et pour montrer à quel point cette
affirmation doit être prise en rigueur de termes, saint Augustin ne craint pas
de décerner à notre Patriarche cet éloge qui paraît à première vue dépasser la
mesure : « Le mérite de la continence dans
Abraham, qui engendra des enfants est égal à celui de saint Jean qui ne fut
jamais marié (12). » En effet, explique saint Thomas d’Aquin : « Le
mérite ne s’apprécie pas seulement d’après le genre de l’acte, mais surtout
d’après l’esprit de celui qui agit.» Or Abraham avait le coeur disposé de telle
sorte qu’il était prêt à garder la virginité si c’eût été convenable pour son
temps. Ainsi le mérite de la continence virginale a égalé en lui le mérite de
la continence virginale dans saint Jean (13). »
Non seulement ces
Patriarches pratiquèrent la perfection évangélique bien avant l’Evangile, mais
ils eurent à la réaliser dans des conditions particulièrement difficiles. Ils
durent la poursuivre non pas dans un désert, comme les premiers ascètes, mais
au milieu du monde : non pas dans la pauvreté comme les Apôtres, mais à la
tête de richesses considérables pour l’époque ; non pas dans le célibat,
comme les religieux ; ni même dans l’état ordinaire de mariage, comme tant
et tant de saints et de saintes, mais sous le régime de la polygamie, auquel
ils se trouvaient astreints, nous verrons plus loin pourquoi. Avec une
abnégation héroïque, ils n’usèrent du droit d’avoir plusieurs épouses que pour
la multiplication du peuple élu, jamais pour la satisfaction de leurs passions.
Dieu a voulu nous montrer en eux dès les origines du monde les prodiges que
peut réaliser sa grâce, et comme elle a suffi, en plein pays païen, alors qu’il
n’y avait sur la terre ni Evangile, ni Eglise, ni prédications, ni sacrements,
à conduire ceux qui lui furent fidèles, jusqu’aux plus hautes cimes de la
sainteté. C’est un exemple sur lequel tout homme sensé doit réfléchir, pour
comprendre que, quelles que soient les conditions dans lesquels il est appelé à
vivre, il peut lui aussi, s’il le veut, s’élever jusqu’à la perfection.
La sainteté de
ces hommes nous est garantie par l’Ecriture en termes qui ne peuvent laisser
place à aucune équivoque. Ils ont été canonisés par la bouche de Dieu
lui-même : Je suis, dit-il à Moïse,
le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. C’est là mon nom pour l’éternité, c’est celui qui
doit me rappeler à la mémoire de génération en génération (14).
Il les présente comme trois témoins irrécusables qu’il s’est choisis, de
préférence à tous les hommes. Il se fait gloire d’avoir de tels serviteurs. Il
les couvre de sa protection particulière, il les appelle, il les appelle « ses christs »
- christos meos – et il interdit qu’on touche à leur mémoire (15).
Le crédit dont ils jouissent auprès de lui est tel que, lorsque Moïse veut
conjurer le déchaînement de sa colère, il ne trouve rien de plus efficace que
de mettre en avant ces trois noms. L’Offertoire du VIIe dimanche après la
Pentecôte rappelle chaque année ce trait en un raccourci saisissant, rendu
encore plus impressionnant encore par la beauté et la puissance de la mélodie
grégorienne : Moïse se mit à prier en présence du Seigneur son Dieu, et il dit : Pourquoi, Seigneur, vous irritez-vous contre votre
peuple ? Apaisez la colère de votre âme : souvenez-vous
d’Abraham, d’Isaac et de Jacob auxquels vous avez promis de donner la terre où
coulent le lait et le miel. Et le Seigneur s’apaisa, et il ne fit point le mal
qu’il avait dit qu’il ferait à son peuple.
Bien loin de les
reléguer au second plan, Jésus-Christ qui venait pourtant remplacer l’Ancien
Testament par le Nouveau, a contresigné ce texte de son sceau personnel quand
il a dit : Beaucoup entreront dans le royaume
des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob (16), et tout son Evangile
témoigne de l’estime profonde où il tenait les fondateurs de sa propre famille.
(A suivre…si Dieu veut)
Dom de Monléon
- Les italiques sont dans le texte
(11) Panarion, I.I.i, Patrologie grecque, I. VI.I,
colonne 193. Et Saint Thomas d’Aquin, IIa IIae, quest. 186 a. 4.ad.
(12) De Bona conjugali, ch.XXIV.
(13) IIa Iiae, quest. 153, a. 4, ad. 1 et 3.
(14) Exode III, 6 et 15
(15) Psaumes CIV, 11
« Gardez-vous de toucher à mes oints et ne maltraitez pas mes
prophètes » (105, 15 Bibles
protestantes)
(16) St Matthieu VIII, 11.
René
Pellegrini