dimanche 20 novembre 2022

Introduction à l'histoire des Patriarches - 5 : Histoire des Patriarches - 4


INTRODUCTION A L’HISTOIRE DES PATRIARCHES – 5

 

HISTOIRE DES PATRIARCHES – 4

 

     Leur vie a été écrite en traits indélébiles par le Saint-Esprit lui-même, qui est le véritable auteur des livres saints. A cause de cela, elle mérite d’être étudiée d’une façon particulièrement attentive. Nous avons à la considérer d’abord dans sa valeur historique, puis dans son sens mystique.

     Au point de vue historique, nous devons tenir pour assurer que les récits qui nous sont faits par la Sainte Ecriture sont d’une véracité, d’une authenticité irrécusables. Les Patriarches ne sont pas des êtres fictifs, des mythes, des personnages lunaires ou des héros éponymes, comme le soutiennent certains historiens : ce sont des êtres qui ont vécu en chair et en os, qui ont marché sur deux pieds, respirant le même air, foulant la même terre que nous. Abraham, Isaac, Jacob, Joseph ont réellement existé dans le temps, et leur vie s’insère dans le cadre de l’histoire universelle.

     Néanmoins, à cause même du but particulier qu’elle poursuit, l’Ecriture ne nous rapporte sur eux que certains traits, ceux qui ont une valeur d’exemples, et qu’elle propose à notre imitation ; ceux qui ont un sens figuratif et qui préparent les voies du Messie. Elle laisse au contraire volontairement dans l’ombre ce qui est purement historique. De là des failles dans la suite du récit, des contradictions apparentes parfois, des obscurités souvent…Pour retrouver l’enchaînement des faits, il n’est pas défendu de recourir, quoique avec beaucoup de prudence, à d’autres sources, que l’on peut ranger sous deux chefs : les traditions juives et les résultats des fouilles exécutées en pays biblique.

     Les traditions juives sont consignées d’une part chez les historiens de cette nation, Flavius Josèphe et Philon ; d’autre part, dans une multitude d’écrits apocryphes composés par les rabbins au cours des âges. Il serait impossible d’en donner d’en donner la nomenclature complète ici (17). Les plus connus sont le Livre d’Adam, le Livre du combat d’Adam, le Livre d’Enoch, le Testament des XII Patriarches, etc. La critique moderne à coutume de les écarter en bloc, déclarant à priori « qu’il n’y a rien à retirer de telles inventions ». Ce procédé rappelle celui de certain mandarin chinois qui, chargé d’établir, pendant la guerre de 14, un service de censure sur les journaux étrangers introduits dans sa province, se contenta de faire bâtir un four à briques où on les brûlait tous. Sans doute, il faut le reconnaître, ces traditions, considérées dans leur ensemble, ne sont en général qu’un tissu d’absurdités, d’invraisemblances et de contes à dormir debout. En les parcourant, le lecteur est vite excédé de se sentir toujours entraîné dans l’extravagance, la démesure et un merveilleux qui sonne faux. Cependant ce serait une erreur de croire que tout y est à dédaigner : sous les péripéties grotesques et ridicules de ces histoires se cache un fond de vérité ; il y a des paillettes d’or dans ce sable aride. « Tout approuver et tout rejeter, n’est pas bon », disait déjà Aristote. Une critique qui condamne tout d’emblée, sans discernement, renie son propre nom, car krinen veut dire précisément : séparere, distinguer, juger, choisir. Son rôle consiste ici à filtrer ce dépôt venu des Juifs, à retenir ce qui a des chances d’être vrai, à rejeter tout le reste. Ainsi ont fait les Pères de l’Eglise, ainsi ont fait saint Jérôme, saint Ephrem, et bien d’autres après eux, qui ont su discerner dans le bric-à-brac des écrits rabbiniques, des détails, des précisions, des anecdotes qui viennent compléter le texte sacré, l’éclairer, l’étoffer, le relever d’une saveur nouvelle.

     Tout n’est pas faux dans les traditions populaires ; et les légendes elles-mêmes sont plus précieuses souvent qu’une inscription, pour connaître un personnage. Si nous parcourons, par exemple, toutes celles qui concernent les débuts de la vie d’Abraham et sa conversion, reconnaissons loyalement qu’elles sont remplies d’invraisemblances et d’incohérences. Néanmoins la physionomie du Patriarche s’y dessine avec certains caractères très nets. Il nous y apparaît toujours comme obsédé par la pensée de Dieu, par le désir de savoir quel est le Maître du monde. Toutes ses réflexions, toutes ses démarches gravitent autour de ce problème central. Ensuite il y témoigne d’une nature ardente et généreuse, qui n’hésite pas à affirmer devant n’importe qui, sa foi dans le Dieu unique. Ce dessin-là, encore qu’il soit tracé dans la légende, nous pensons qu’il est très proche de la vérité, et qu’il ressemble beaucoup plus au vrai visage de notre Patriarche que le Bédouin grossier, ou l’aventurier spéculant sur la beauté de sa femme, ou le personnage préfabriqué avec quelques matériaux extraits du Code d’Hammourabi, que l’on nous offre aujourd’hui comme portraits authentiques.

     Au surplus, quand il s’agit d’époques aussi lointaines, le devoir de l’historien est, non pas d’écarter de son récit tout ce qui n’est pas vérité évidente, mais bien plutôt de donner comme certain ce qui est certain, comme probable ce qui est probable, comme possible ce qui est possible. C’était ce que faisait déjà saint Jérôme, quand il écrivait à Evangélius : « Mon rôle est de citer les témoins : c’est à toi de juger de la foi qu’ils méritent (18) ». C’est aussi la règle que nous avons suivie dans la présente étude.

     Quant aux fouilles en pays bibliques, malgré l’activité avec laquelle elles ont été  poussées depuis un siècle, elles n’ont jamais mis à jour un document quelconque concernant directement les Patriarches. On n’a pu déchiffrer encore le nom d’Abraham sur aucune inscription, ni à El-Amarna, ni à Ur, ni nulle part. On n’a retrouvé aucun titre, aucune prière, aucune tablette signée de lui. En revanche, de tous les renseignements qu’elles ont apportés sur l’époque où ils ont vécu, une impression se dégage dominante et puissante, celle que Sir Charles Marston a donné pour titre au petit livre plein d’intérêt écrit par lui sur ce sujet : « La Bible a dit vrai ».

(A suivre…si Dieu veut)

Dom de Monléon

 

René Pellegrini

(17) On trouvera cette nomenclature dans le Dictionnaire des Apocryphes de Migne, ouvrage édité à Paris en 1856, Volume I, Tome I, p. XXXIX.

(18) Epis. I. XXIII ; Patrologie latine. T. XXII. Col. 681. 

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